Interview de Philippe B. réalisée par Denis De Grave pour SlowHeat.
La crise énergétique a suscité de nombreuses remises en question au sein des foyers, mais aussi de nouveaux rêves, y compris sur la manière dont nous chauffons nos maisons. Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Philippe, ingénieur civil de formation et enseignant dans le domaine de la construction. Deux décennies au contact des questions de ses étudiants qui l’ont amené à s’intéresser aux questions énergétiques, aux audits et à la PEB. Mais ce n’est qu’au plus fort de la crise de 2022, au détour d’un reportage sur le projet de recherche et renforcé par une discussion avec sa fille, qui connaissait le projet, que lui et son ménage ont pris le tournant du slowheating.
Le Déclic
Avant la crise, chez Philippe on chauffait habituellement à 22 bons degrés. Néanmoins, ces dernières années, après avoir amélioré l'isolation de sa toiture et remplacé sa chaudière, il a pu réduire cette température à 19 degrés, tout en conservant un bon confort. Ce qu’il explique par des parois plus chaudes grâce à l’isolation et une température plus basse des radiateurs, ce qui réduit considérablement les mouvements d’air inconfortables dans la pièce, nous dit-il.
Alors si depuis un an son thermostat affiche non plus 19°C mais 15°C, c’est grâce à un déclic : "Le boom des prix de l’énergie nous a un petit peu fait réfléchir ». Et ce qui a particulièrement retenu l’attention de Philippe, c'est l'efficacité du rayonnement pour chauffer les corps même lorsqu’il fait froid.
"Ce qui m'a tout de suite convaincu et interpellé, c'était l'idée de chauffer les corps plutôt que l'air. C’est quelque chose que je dis souvent quand je parle de l’expérience : quand on est aux sports d'hiver, on peut être en t-shirt alors qu'il fait 0°C dehors car si le soleil est là, le rayonnement suffit à donner un confort ».
Une démarche qui concerne d’abord son cocon familial
Dans le ménage de Philippe, l’idée de chauffer moins l’air et d’acquérir des radiants pour retrouver du confort a été accueilli comme une évidence pour lui et sa compagne : « À l'époque, vous sentiez bien qu'il fallait changer quelque chose, donc l'idée c’était d'essayer. Elle est un peu plus frileuse que moi donc le panneau chauffant dans le bureau parfois, c'est un peu juste, mais bon, malgré tout, ça va. ». Tout est affaire d’écoute entre les membres du ménage.
Chez Philippe, le slowheating est une affaire intime qui concerne son ménage et qu’il n’a ni les moyens techniques ni l’envie d’élargir aux moments sociaux. Alors lorsqu’ils reçoivent des amis pour un match de foot ou un repas, il repasse on ne peut plus simplement sur le chauffage central, comme avant « parce que c'est un peu compliqué. On n'a pas mis des panneaux chauffants qui remplacent ou qui sont suffisamment distribués dans le salon pour que ce soit confortable pour tout le monde. C'était une phase de test uniquement pour nous. ».
Chercher les économies sans faire de sacrifices
Après un an de slowheating à leur façon, ils jugent l’expérience concluante sans avoir eu à chercher « le dernier carat ».
« Sans être extrême (quand on recevait, on remettait le chauffage central à 20°) on a très nettement réduit notre consommation de gaz: moins 41,4%».
C’est également pour cette raison qu’ils se sont tournés vers les radiants plutôt que les solutions de chauffage par contact qu’ils trouvent plus contraignantes et moins esthétiques. Bien conscient qu’ils pourraient toujours faire mieux, leur idée est de faire des efforts mesurés, se concentrer sur les transformations faciles qui apportent le maximum de bénéfices. Une sagesse qu’il applique également dans d’autres domaine pour garder une vie simple, plaisante et faire des efforts rationnels : « Ce n’est pas de la thermique, mais on fait beaucoup de randonnées et on s’était un peu intéressé à un groupe qui s’appelle « les marcheurs ultra légers » qui cherchent vraiment le matériel le moins lourd etcetera… Mais gagner parfois un gramme, ça se paie triple donc là tu te dis quand même à un moment donné, pour le peu que ça apporte, ce n'est pas proportionnel au surcoût et aux contraintes que ça occasionne. »
Malgré tout, des contraintes, il en déplore. Il pointe la maigre qualité constructive et esthétique de certains produits.
« J'achète maintenant d'occasion du matériel de qualité, par exemple d’une marque autrichienne, c'est la Rolls Royce par rapport aux trucs chinois. C'est cher, mais quand on trouve l'occasion, ça vaut le coup ».
En effet, si Philippe continue à scruter le marché c’est qu’il souhaiterait poursuivre l’équipement de son logement mais ce n’est pas possible partout car le placement dépend des emplacements de ses prises qui n’ont pas été prévues pour cela. On comprendra aisément la réticence à réaliser des saignées ou appliquer des goulottes disgracieuses sur les briques apparentes qui font tout le charme de sa maison. Aussi, l’esthétique de certains panneaux le rend réticent à en placer d’autres qui seraient plus visibles. « Je trouve que ce n'est pas très beau. Dans les miroirs [où c’est intégré], ça va encore, ça ne gêne pas, comme dans la salle de bain, mais pour le reste, c'est un peu délicat ». S’il est vrai qu’un radiateur classique n’est pas forcément plus beau, Philippe explique judicieusement que le fait que les radiants doivent être à notre hauteur pour être efficaces nous contraint à les positionner plus haut qu’un radiateur classique. Ils sont donc beaucoup plus exposés et visibles que les radiateurs classiques que l’on positionne généralement au niveau du sol. Dans d’autres cas ils doivent être déplacés et posés sur le bureau ou devant le canapé en fonction des besoins. Heureusement, certains modèles sont très légers. Pour son radiant de qualité mais aussi le plus lourds (12kg) il a installé des roulettes.
Recréer l’effet du soleil à l’intérieur, sans surconsommer.
Concrètement, pour vivre bien dans 15°C, Philippe a reproduit son idée du soleil au sport d’hiver et nous dit s’être équipé d’un radiant de 850W intégré au miroir pour la salle de bain. Ce miroir certes puissant ils l’enclenchent un peu avant la douche lorsque c’est nécessaire puis il ne reste finalement allumé que le temps de se laver et de se sécher soit moins de 20’. Dans les deux bureaux ce sont des radiants de 320W qu’il utilise avec succès et qu’il déplace parfois dans le logement au gré des besoins.
Si on fait des calculs de coin de table, comme on aime le faire, on pourrait s’attendre à une surconsommation électrique de l’ordre de 400kWh par an pour ces équipements (un peu plus de 13€/mois aux prix d’octobre 2023) à raison d’une douche par jour et trois heures d’utilisation dans chaque bureau pendant un hiver de 180 jours. Bien évidemment 400kWh ce n’est pas rien… mais c’est largement dérisoire face aux 6000kWh de gaz économisés dans le même temps ! Et ce n’est pas tout ! Dans les faits et c’est bien là ce qui compte, plus que nos calculs au dos d’un cartons de bière, sa consommation électrique a baissé de 14,5% ! Mais alors, comment expliquer cela ?
Philippe poursuit en évoquant son habillement et explique qu’il « ne se promène plus en t-shirt en hiver. De la bonne laine c'est ce qui marche le mieux ». Il ajoute également qu’il a l’impression de s’être habitué à cette nouvelle température bien qu’il note que « en début d’hiver il faut toujours quelques semaines pour s’habituer ». Ces quelques dispositions l’aident à utiliser moins systématiquement, moins automatiquement ces équipements. Ce qui est sûr néanmoins, c’est que l’effet domino que l’on constate dans le projet s’applique également chez Philippe qui s’intéresse aussi à sa consommation électrique : « J'avais un petit peu peur d'augmenter ma consommation électrique, mais pas du tout. Je me suis posé des questions, me suis dit, Mais comment est-ce que ça se fait que j'ai consommé moins d’électricité parce que bon, on était déjà assez attentif avant » puis il s’est rappelé qu’il avait quand même changé des choses lors de cette année « je me suis rappelé que j'avais changé deux petits congélateurs en un seul plus gros, le meilleur label énergétique du marché, donc je suppose que les économies viennent en partie de là ». C’est finalement une constante dans les approches que nous avons pu documenter : la surconsommation électrique des équipements de chauffage électrique est systématiquement plus qu’absorbée par le réintéressement plus général à nos consommations électriques.
Allier production électrique propre et consommation réfléchie.
"L'essentiel est de chauffer là où on se trouve. C'est vraiment le principe de base."
Philippe est convaincu que le chauffage doit être efficace et localisé. Mais sa vision s'étend au-delà de cette simple logique. Pour lui, une stratégie de chauffage complète doit également englober la production d'électricité. « Cet été, j'ai installé des panneaux photovoltaïques. Je n'en avais pas avant. J'avais deux panneaux thermiques pour préchauffer l'eau et le complément venait de la chaudière à gaz à condensation. Cet été, avec l'installation des panneaux photovoltaïques, j'y ait ajouté une résistance et j'ai diminué la consigne de la chaudière pour ne pas consommer de gaz quand je produis de l'électricité. Bien sûr, j'ai gardé mon ancien compteur. J'espère qu'avec le temps, on pourra avoir des solutions de stockage entre été et hiver. C'est un problème qui m'avait fait hésiter à installer des panneaux photovoltaïques. On produit de l'électricité quand on n'en a pas besoin et on la prend du réseau quand on en a besoin. J’espère qu’il y aura des avancées. En Allemagne, où je vais souvent, ils ont des centrales de production d'hydrogène ».
Ce que je me suis permis de résumer lors de l’entretien de la façon suivante : « en quelque sorte tu veux que des panneaux capturent le soleil sur ton toit pendant que d’autres panneaux le reproduisent en miniature où et quand tu en a besoin à l’intérieur ? » « Voilà, exactement : on stocke, on utilise, c'est ça. »
Vers un futur moins dépendant des énergies fossiles
Interrogé sur l'éventualité d'un retour à des prix plus bas et s'il envisagerait alors un retour en arrière, Philippe répond avec conviction : « Il n'y a pas que le prix. Je trouve que, de toute façon, les énergies fossiles, je pense, ne reviendront pas à la situation où tout était bon marché et où on pouvait gaspiller. Donc on va vers autre chose, ça c'est clair. Donc qu’importe le prix, je n'ai pas envie de surconsommer des énergies fossiles » En ce qui concerne sa démarche, il estime être arrivé à un bon équilibre. Selon les opportunités, il envisage d'ajouter ou de remplacer un panneau par une version de meilleure qualité provenant du marché d'occasion. Cependant, l'idée de se séparer de sa chaudière au gaz n'est pas à l'ordre du jour, même si son utilisation l'interpelle : « l'idée c'est de garder ma chaudière, je veux dire, elle n’est pas trop vieille et elle est performante, donc je vais la garder comme chauffage de base pour avoir mes 15°C et je vais continuer sur ce principe. Même si pour le gaz je n'ai pas totalement envie de soutenir Poutine car le gaz naturel, bien qu'on dise qu'on ne l'achète plus directement à la Russie, dans les faits on le prend via un pays tiers qui passe par la Russie, ça me gêne. »
Conscient de ces enjeux, Philippe en discute parfois avec son entourage. Il admet avec une pointe d'humour : « j'en ai déjà parlé autour de moi, c'est vrai, mais je ne fais pas beaucoup d'adeptes. Bien qu’une de mes filles ait trouvé l’idée intéressante… Je vais lui passer un radiant d’ailleurs… mais bon il y en a d’autres qui vivent uniquement dans l’instant présent et comme le prix est descendu, s'en foutent."
"Ce n’est pas toujours facile de convaincre des gens qui ne pensent qu’au prix, évidemment."
Le mot de la fin : PEB et stockage
Pour conclure, Philippe nous livre sa vision de ce qui devrait changer dans le monde. À ses yeux, bien que les solutions de chauffage « Slowheat » gagneraient à être esthétiquement plus agréables, plus durables, plus fonctionnelles et davantage produites localement, ces améliorations pâlissent face à deux défis majeurs qu'il juge essentiels d'adresser pour avoir une vision d'ensemble cohérente : La PEB, « qui ne fait aucune différence entre un radiant et un grille-pain », et le stockage d'énergie dont il affirme : « Je crois que c’est le plus urgent ».
Nous, nous retiendrons de cette rencontre qu’une approche finalement assez « simplifiée » et épurée de la pratique, qui ne se prive pas de chauffer quand on le souhaite et qui ne s’encombre pas de solutions exotiques, porte également largement ses fruits. Evidemment qu’en ne chauffant pas à 20°C quand il reçoit des invités il aurait pu économiser 7000kWh de gaz plutôt que 6000kWh. Evidemment aussi qu’en utilisant des systèmes qui chauffent par contact plutôt que par rayonnement il aurait réduit la consommation de son équipement « SlowHeat » de près de 70%. Mais aurait-il franchi le cap si la marche était si haute et inconfortable?
il faut que ce que cela rapporte en plus soit « proportionnel au surcoût et aux contraintes que ça occasionne".
Chouette interview !
Merci Denis.
Merci pour ce captivant et interessant partage. Pourriez-vous nous partager les modèles de radiants que vous trouvez bénéfiques même s'ils ne sont pas esthétiques :-) ?